Question: Quelles sont, selon vous, les causes de la crise du
Marché Commun et comment pensez-vous qu'on puisse en sortir?
Réponse: Ce qui s'est passé à Bruxelles, le 30 juin, au sujet du
règlement financier agricole a mis en lumière, non seulement les
persistantes réticences de la plupart de nos partenaires en ce qui concerne
l'entrée de l'agriculture dans le Marché Commun, mais aussi certaines
erreurs ou équivoques de principe qui figurent dans les traités relatifs à
l'union économique des Six. C'est pour- quoi la crise était, tôt ou tard,
inévitable. Les trois traités, créant respectivement la CECA, l'Euratom et
le Marché Commun, avaient été conclus avant le redressement français de
1958. Aussi, tenaient-ils compte surtout de ce que demandaient les autres.
C'est ainsi que la CECA, indépendamment du rapprochement franco-allemand
qu'elle entendait manifester, consistait essentiellement à rendre à
l'Allemagne la disposition de son charbon et de son acier et à donner à
l'Italie, naturellement dépourvue de houille et de fer, la possibilité de
s'en procurer à bon compte pour se doter, à son tour, d'une grande industrie
métallurgique.
Pour l'Euratom, l'institution tendait à mettre en commun tout
ce qui était fait ou à faire dans le domaine de l'énergie atomique -et dont
la France, en raison de l'avance qu'elle avait prise, fournirait la plus
large part -ensuite à con- trôler la production des matières fissiles en vue
d'en empêcher l'utilisation militaire, alors que, parmi les Six, seul notre
pays était en mesure de fabriquer un armement nucléaire. Quant au Traité de
Rome, enfin, il réglait très complètement les conditions de la Communauté
industrielle dont se souciaient surtout nos voisins, mais pas du tout celles
du Marché Commun agricole auquel nous étions les plus intéressés. D'autre
part, les trois traités instituaient chacun une figuration d'exécutif sous
la forme d'une Commission indépendante des Etats, bien que ses membres
fussent nommés et rétribués par eux, et une figuration de législatif sous
les espèces d'une Assemblée réunissant des membres venus des divers
Parlements, sans toute- fois que leurs électeurs leur eussent donné aucun
mandat qui ne fût pas national.