Je n'ai pas besoin de vous dire, Messieurs, que la situation mondiale est
très grave. Cela est bien évident pour tous les gens intelligents. Je crois
que l'une des plus sérieuses difficultés, c'est que le problème est d'une si
grande complexité que la masse même des faits présentés au public par la
presse et la radio rend extrêmement difficile, pour l'homme de la rue, une
évaluation nette de la situation. De plus, la population de ce pays se
trouve très loin des régions troublées de la terre, et elle a beaucoup de
peine à imaginer la misère, les réactions qui la suivent chez les peuples
qui ont longtemps souffert, et l'effet que ces réactions ont sur leurs
gouvernements au cours de nos tentatives pour établir la paix dans le monde.
Lorsqu'on a étudié les besoins de la reconstruction de l'Europe, les
pertes en vies humaines, les destructions de villages, d'usines, de mines et
de voies ferrées ont été estimées de façon assez exacte, mais il est devenu
évident au cours des mois qui viennent de s'écouler que ces destructions
visibles sont probablement moins graves que la dislocation de toute la
structure de l'économie européenne. Depuis dix ans la situation est très
anormale. Les fiévreux préparatifs de guerre et l'activité encore plus
fiévreuse déployée pour soutenir l'effort de guerre ont détruit toutes les
branches des économies nationales. L'outillage industriel n'a pas été
entretenu, a été endommagé ou est tout à fait démodé. Sous la domination
arbitraire et destructive des Nazis, presque toutes les entreprises ont été
attelées à la machine de guerre allemande. Les relations commerciales
anciennes, les institutions privées, les banques, les compagnies
d'assurances et les compagnies de navigation ont disparu, faute de capitaux,
par suite de leur absorption lorsqu'elles ont été nationalisées, ou
simplement parce qu'elles ont été détruites. Dans beaucoup de pays, la
confiance en la monnaie nationale a été rudement ébranlée. L'effondrement de
la structure commerciale de l'Europe s'est produit pendant la guerre.